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23/04/2010

Témoignage paru dans Le Monde

Je savais que cela pouvait arriver, mais de là à penser que je serais touché un jour ! Avec tous mes diplômes, non, je n'y croyais pas ! Et ce d'autant plus que je faisais partie d'une entreprise qui mettait l'éthique et les valeurs humaines au cœur de son projet collectif. Et pourtant si, c'est arrivé en 2008 : au moment où j'allais souffler mes cinquante bougies, mon entreprise m'a mis à la porte du jour au lendemain, sans aucun ménagement, comme si j'étais un vulgaire numéro qui ne comptait plus. "C'est la crise, m'a-t-on dit ! Et comme tu es le dernier rentré, tu es le premier sorti !" Et depuis cette période, je découvre avec effarement ce que chômeur de 50 ans veut dire dans notre beau pays !

D'abord, vous n'y croyez pas, vous cherchez à vous battre, vous niez la réalité : ce n'est pas possible, MON entreprise n'a pas pu me faire cela. Vous lui aviez tant donné de votre vie, et même parfois sacrifié un peu (beaucoup) de votre équilibre et de votre santé. Et ces belles valeurs communes, vous y aviez tant cru ! C'est même pour elles que vous aviez rejoint cette société il y a quelques années. Et ce sont elles que vous aviez transmises encore récemment à des collaborateurs plus jeunes et peut-être moins enclins que vous à tout donner à leur entreprise. Un peu comme si vous ne pouviez plus vous défaire de cette fameuse "logique de l'honneur" si française et si bien décrite par Philippe d'Iribarne !

Oui, mais voilà, un beau jour, tout s'arrête et vous êtes KO debout. Vous ne comprenez pas la décision de votre patron, bien sûr, mais surtout la violence avec laquelle ce départ est organisé et même annoncé aux autres, avant qu'il soit connu de vous. Un petit chèque et puis s'en va ! "S'il te plaît, pas de vagues", vous a dit le directeur des ressources humaines. "On est entre adultes, tout de même !" Et là, vous vous dites que ce n'est peut-être pas si grave, que vous en avez vu d'autres et que vous allez rebondir rapidement. Après tout, vous avez des diplômes et de bons réseaux. "Il n'y a pas de raison que tu n'arrives pas à t'en sortir avec l'énergie que tu as", vous a lâché le DRH à votre départ. Mais oui, au fond, il a sûrement raison ! Il faut tourner la page !

Alors, plein de dynamisme, et parce qu'on vous a appris toute votre vie à ne pas vous laisser abattre, vous partez à l'assaut des chasseurs de têtes et autres cabinets de recrutement. Vous contactez les réseaux de votre école, vous déjeunez avec les relations que vous aviez plus ou moins bien entretenues ces dernières années. Vous répondez même à des annonces que vous aviez repérées dans quelques journaux spécialisés. Un peu comme si vous vous retrouviez des années en arrière, en train de chercher votre premier job en pensant que tout cela sera très rapide malgré la crise. Vous ne manquez pas d'atouts, vous n'avez pas d'enfants à charge, vous êtes mobile, vous avez fait la preuve de vos compétences à travers vos différentes expériences, et vous êtes ouvert à tout, à l'entreprise comme à la fonction publique !

Pourtant, vous sentez que les réponses se font évasives, les occasions plus vagues, les déjeuners moins fréquents. Vous vous dites que c'est une affaire de temps, que vous allez rebondir sans problème, que vous croyez toujours en votre bonne étoile. Et tout à coup, c'est le cruel rappel à la réalité ! L'un de vos interlocuteurs vous assomme par ces mots : "Le problème, c'est votre âge ! Comment voulez-vous retrouver un travail maintenant que vous avez dépassé 'l'âge fatidique' ? Plus personne ne voudra de vous, désormais !"

Nouveau coup sur la tête ! Vous comprenez tout à coup que plus rien ne sera plus jamais comment avant. En même temps, vous vous dites que vous auriez dû vous battre davantage au moment du départ de votre entreprise pour obtenir une vraie réparation de ce préjudice. Mais comment le faire quand le ciel vous tombe sur la tête et que vous êtes convaincu de retrouver rapidement du travail ? D'un seul coup, vous comprenez mieux les sentiments de ces salariés, qui, nettement moins privilégiés que vous, se retrouvent eux aussi du jour au lendemain hors de leur entreprise et vous vous dites que quelque chose ne tourne vraiment pas rond dans notre société où, sans travail, vous n'existez plus réellement !

Et comme vous lisez les journaux et vous vous tenez au courant de l'actualité, vous entendez que les régimes de retraite vont être réformés, que l'âge du départ risque d'être repoussé à 61 ou 62 ans, peut-être plus encore. Lorsque vous étiez salarié avant 50 ans, tout cela vous paraissait si loin que vous ne vous sentiez pas concerné. Mais maintenant, c'est différent : de toutes parts on vous fait comprendre que vous entrez chez les "seniors", ceux qui sont difficiles à embaucher car ils coûtent cher, ceux qui ne sont pas mobiles et surtout ceux qui, paraît-il, sont si réfractaires au changement ! Bien sûr, vous ne vous reconnaissez pas dans ce portrait caricatural, mais c'est ainsi : la France vous a mis dans une autre catégorie, vous n'êtes plus désormais une ressource, vous êtes devenu une charge ! Comment tenir le coup, dans ces conditions, jusqu'à la retraite, et surtout avec quels revenus ? Car les indemnités de chômage ne sont pas éternelles.

Puisque les entreprises ne veulent plus de vous, vous vous décidez à prendre l'initiative de monter votre propre structure puisque c'est à la mode. Et pourquoi pas dans le conseil, comme certains vous l'ont recommandé ? En vous renseignant autour de vous, vous découvrez alors un véritable monde parallèle à celui que vous connaissiez jusqu'ici : celui de tous ces "seniors" (comme ils disent) qui sont devenus "consultants indépendants", les uns pour attendre un départ à la retraite de moins en moins proche, les autres pour se prouver qu'ils peuvent de nouveau servir à quelque chose. Et tant pis si l'on doit transpirer un peu et puiser dans ses économies. On a sa fierté, tout de même ! On dit que la France a le plus faible taux d'emploi des plus de 50 ans en Europe ? Pourtant, quelle réserve d'énergie et de compétences, j'ai découvert ces derniers mois ! Et qu'en fait-on ? On les jette, on les placardise, on les diabolise. Quel gâchis humain au final !

Alors que faire aujourd'hui ? Continuer à se battre, constituer des réseaux, se faire connaître, épauler ceux qui sont encore KO debout, des mois après leur licenciement ! Et peut-être aussi envoyer avec ses tripes un message au président de la République et à tous les partenaires sociaux, en leur disant ceci : pourquoi ne pas profiter du débat qui s'ouvre sur les retraites pour repenser en profondeur le rôle et les contributions des plus de 50 ans dans notre société ? N'est-il pas temps en effet de remettre à plat les politiques de gestion des ressources humaines dans les entreprises comme dans la fonction publique pour leur faire une place à la hauteur de leur expertise et de leur engagement ? En tout cas, s'il faut vous donner un coup de main, messieurs les dirigeants, pour bousculer les idées reçues et faire preuve d'innovation, alors n'hésitez pas à nous solliciter, car, vous l'aurez compris, nous sommes plutôt disponibles en ce moment, nous autres les chômeurs de 50 ans !

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